L’histoire de l’exploration linguistique du domaine du Croissant se découpe en plusieurs étapes qui s’étendent sur plus de 200 ans1.
Plus d’un demi-siècle après la campagne d’enquêtes dite de l’Empire (1808-1810) qui avait permis de recueillir une vingtaine de versions dialectales de la Parabole de l’Enfant Prodigue2 dans le domaine concerné, l’enquête la plus importante est celle qui a été effectuée sur place par Tourtoulon et Bringuier en 1873 (la première du genre à cette échelle sur le territoire français)3. Ces deux linguistes visitèrent 150 localités et interrogèrent près de 500 personnes, durant les deux mois de leur périple qui les mena des bords de la Garonne à Guéret, à la recherche de la limite entre oc et oïl. À l’aide d’un nombre limité de critères, ils délimitèrent de façon assez précise d’abord une limite nette, puis, à partir du département de la Charente, une zone de parlers intermédiaires à laquelle ils donnèrent le nom de “sous-dialecte-marchois”4.
En dépit de la controverse suscitée par les résultats de cette mission, plusieurs linguistes leur ont néanmoins emboîté le pas et sont retournés sur le terrain pour réaliser des enquêtes sur place : parmi eux, il faut citer Ronjat qui parcourut lui-même une partie de ce qu’il baptisera croissant (sans majuscule) en 19135 ou encore Dauzat qui effectua des enquêtes dans la zone au contact des départements de l’Allier et du Puy-de-Dôme, signalant qu’il existe “du côté du Bourbonnais, une zone de transition importante qui nécessiterait une étude spéciale”6.
Pourtant et en dépit du fait que la zone d’interférence avait été confirmée dès le début du XXe siècle par l’Atlas Linguistique de la France, le domaine du Croissant ne fut pas pris en compte lors de la répartition des domaines des Atlas Linguistiques Régionaux dirigés par le même Dauzat. Il faut donc aujourd’hui consulter quatre atlas pour être en mesure d’avoir toutes les données du Croissant recueillies dans le cadre de ces nouvelles campagnes d’enquêtes : l’Atlas du Lyonnais (ALLy) (1945-1947)7, l’Atlas de l’Ouest (ALO) (1949-1962), l’Atlas du Centre (ALCe) (1959-1967) et l’Atlas de l’Auvergne et du Limousin (ALAL) (1964-1976). Près de 20 points appartiennent au Croissant, avec environ 1300 à 1400 items recueillis pour chacun d’eux8.
Cependant, plusieurs enquêteurs des atlas cités précédemment ont fait des enquêtes, dans le cadre de thèses, sur cette zone avec des réseaux plus denses. Ainsi, entre 1945 et 1948, parallèlement aux enquêtes de l’ALLy, Escoffier en a effectué une soixantaine aux confins des domaines d’oc, d’oïl et du franco-provençal, dont les résultats seront publiés en 19589. À la même époque (1946-1952), Pignon est sur le terrain dans le Poitou. D’abord seul, puis en tandem avec Massignon, il effectue des enquêtes pour l’ALO et ensuite pour son propre compte dans le cadre d’une thèse soutenue en 1957 et publiée en 196010.
Dubuisson, auteure de l’ALCe, avait aussi envisagé une thèse et en avait recueilli les matériaux dans 36 localités situées à la rencontre des départements de l’Allier et de la Creuse (1951-1954). Toutes les données sont disponibles dans le 3e volume de son atlas. Lagueunière, collaboratrice de l’ALAL, a mené des recherches, dans le nord de la Haute-Vienne pour une thèse soutenue en 198311 (voir carte ci-dessous).
Plus proche de nous, d’autres études ont complété les recherches dans le domaine : Quériaud a décrit le parler de Confolens et ses environs dans une étude publiée en 197412. Plus récemment, Reichel a fait une importante campagne d’enquêtes dans les départements de l’Allier et du Puy-de-Dôme dans le cadre d’une thèse soutenue en 199013. Un autre romaniste allemand, Mietzke, a consacré une thèse, publiée en 2000, aux parlers du Nord-Ouest de la Creuse14. Dernièrement, Vignaud et Manville ont publié en 2007 un ouvrage sur les parlers du nord de la Creuse, fondé sur une série d’enquêtes enregistrées. Un CD accompagne cet ouvrage et donne un aperçu de plusieurs des parlers enquêtés15. Enfin on peut également citer les monographies réalisées par Quint16 et moi-même17. Plus récemment, depuis 2015, de nouveaux projets scientifiques (évoqués ailleurs dans ce numéro) permettent un nouvel essor des recherches sur les parlers du Croissant.