Le domaine des parlers du Croissant ne présente pas de traits linguistiques qui lui soient propres, contrairement au francoprovençal : les principaux traits discriminatoires entre les aires des dialectes occitans et ceux d’oïl s’y entrelacent et s’y mêlent pour former une zone relativement hétérogène. À cet effet d’entrelacs des faits phonétiques, toujours curieux aux oreilles des locuteurs voisins d’oc ou d’oïl, s’ajoute aussi le constat que la position géographiquement centrale du Croissant engendre également une situation de carrefour, de point de rencontre pour le lexique dans le domaine gallo‑roman.
Ainsi parmi les termes provenant de l’Ouest, on peut citer le terme mestivar “moissonner” qui, à partir du Poitou, vient s’étendre jusqu’au centre de la Creuse, tandis que la partie orientale du Croissant est occupée par meissonnar ; d’autres mots comme nousille “noisette” ou cendrille “mésange” occupent la même aire.
Carte 1
Répartition géographique du terme meissonnar, « moissonner », et de ses variantes
© Guylaine Brun-Trigaud
Le Croissant peut aussi être le point extrême d’aires méridionales : le mot tranuge (tranuga en occitan du Sud) qui désigne le “chiendent” occupe une part importante du domaine en concurrence avec les termes chiendent et grame, ce dernier emprunté au parlers francoprovençaux. Fraisse “frêne” et chaucide “chardon aux ânes” sont dans la même configuration.
Carte 2
Répartition géographique du terme tranuge, « chiendent », et de ses variantes
© Guylaine Brun-Trigaud
Un terme dont l’origine est controversée provient de l’Est : il s’agit de la racine maz-, dotée de nombreux suffixes (masade, masette, mase, masotte) servant à désigner la “fourmi”, dont l’occurrence est unique dans les langues issues du latin. Cette racine s’étend jusqu’au centre de la Creuse, entourée par le mot fourmi qui sous des formes variées occupe le reste du territoire.
Carte 3
Répartition géographique des termes dérivés de la racine maz-, désignant la fourmi
© Guylaine Brun-Trigaud
Les termes venus du Nord sont bien sûr assez nombreux, liés aux progrès de la francisation. Néanmoins certains n’appartiennent pas au français standard : par exemple pour les termes désignant le “noisetier”, on relève la caure qui pénètre dans les parlers occitans jusqu’au sud de la Creuse, laissant plus au nord le terme noisetier, tandis que le Sud-ouest est occupé par nosilhièr et le Sud-est par les dérivés variés du latin avelana.
Carte 4
Répartition géographique des termes désignant le noisetier
© Guylaine Brun-Trigaud
Parfois deux termes bien circonscrits géographiquement se partagent le domaine : c’est le cas de ceux qui désignent un “creux dans un arbre” ou par extension un objet creux, la gorle dans la partie Ouest et la cabotte ou carabotte dans la partie Est. D’origine inconnue, ils sont certainement très anciens.
Carte 5
Répartition géographique des termes désignant « un creux dans un arbre », et par extension un objet creux
© Guylaine Brun-Trigaud
Cependant, si aucun terme ne semble propre aux parlers du Croissant, certaines désignations, originales dans le paysage linguistique gallo-roman voire même pan-roman, en recouvrent une partie plus ou moins importante : c’est le cas des noms du “bouleau” tous dérivés d’une racine d’origine gauloise *betw, mais parmi lesquels betou < *bettullu est unique au sein des langues romanes.
Carte 6
Répartition géographique des termes désignant le bouleau
© Guylaine Brun-Trigaud
Ce bref aperçu de la structure lexicale des parlers du Croissant montre que, au-delà de l’agencement complexe des faits phonétiques et grammaticaux, il existe d’autres strats qui organisent le paysage linguistique, auxquels il faudra porter une attention particulière dans les recherches à venir.