25 | 2014Le francique (platt lorrain)

Du Ve au Xe siècle, entre le Rhin et la Seine, le latin est longtemps resté en contact avec la langue des Francs venus de l’est, et celle-ci aurait bien pu prévaloir. Charlemagne ne maitrisait pas vraiment ce latin tardif en train de se transformer en français, et des pans entiers de la langue ont été germanisés ; autour de l’an 800, c’est l’ensemble des noms de personne qui bascule : exit Aurelius, exit Felicia ou Galla, place à Frédégonde et à Galeswinthe, à tous ces noms qui deviendront Guillaume, Albert, Robert, Richard, Giraud, Thibaud, Renaud, Berthe ou Ghislaine.

Si le francique a finalement reflué, ce n’est pas sans laisser de profondes traces dans l’autre langue : quelques exemples en sont donnés ci-après, auxquels il faut ajouter le nom même de la France, ou, dans le registre des couleurs, des mots comme bleu, blanc, blond, brun, gris, blême…

D’autre part et surtout, le francique s’est maintenu vivace sur une partie du territoire national, ce pays des trois frontières dont les pages qui suivent nous montrent à quel point sa personnalité est liée à la langue qu’on y parle. On ne peut comprendre la réalité des échanges transfrontaliers entre la France, la Belgique, le Luxembourg et l’Allemagne, la notion même de frontière (politique et autre), maints aspects de la vie économique et sociale, la créativité culturelle en Moselle, si on ne considère pas la dimension linguistique qui les régit.

La situation du francique ou platt en France, en Europe, permet en outre d’éclairer in vivo les questions qui nourrissent en permanence le débat linguistique, comme l’extension et la dénomination des langues, leur statut, la relation langue-dialecte, langue-nation, l’alternance de codes, l’intercompréhension.

C’est pour Langues et Cité l’occasion d’éprouver la validité d’une ligne qui consiste à toujours tirer de réalités concrètes des éléments de savoir généralisables.