Nous autres, gens de Moselle, avons le privilège d’avoir nos racines en ces « marches de l’est » où se rencontrent des cultures qui semblent à première vue opposées sinon incompatibles. Ici se côtoient des peuples et des langues séparés par la ligne artificielle des frontières nationales, peuples et langues que relient pourtant l’Histoire et le destin des mondes germanique et romain. C’est ainsi que nous avons deux langues maternelles : le francique (ou platt lorrain), appris sur les genoux de nos mères et grands-mères, et le français, langue nationale apprise dès l’entrée à l’école de la République.
Il est cependant un lien que trop de gens ignorent : ce lien étroit entre l’ancien francique et la langue française. Étant entendu que le latin et le grec constituent le socle de l’héritage lexical du français, il est d’autres apports bien loin d’être négligeables, et l’héritage des langues germaniques anciennes et du francique, en particulier, mérite d’être souligné. Voici des illustrations particulièrement significatives de ce vieux fonds francique toujours vivant dans la langue parlée d’aujourd’hui : ces exemples sont extraits d’un recensement étymologique des mots français issus du francique réalisé en 2007. On y mentionne d’abord le mot français avec sa définition, suivi éventuellement du mot correspondant en ancien français, le ou les mots français dérivés, puis l’équivalent en ancien francique et en moyen haut allemand, et enfin les formes contemporaines dans les dialectes franciques rhénans et franciques mosellans en usage à Sarreguemines, Saint-Avold et Boulay, ainsi que des références à l’allemand standard et à l’anglais.
aune, nom féminin ; ancienne mesure de longueur ; alne (anc. frç.) ; auner (dér.) ; alina, avant-bras (anc. fr.) ; elline, ellen (m. h. a.), longueur de l’avant-bras) ; Éhl, Éll, longueur de l’avant-bras (fr. rh. Sgms/fr. mos.St-A.) ). Ellbogen, coude (alld.) ; ell (angl.). De même qu’une longueur peut se mesurer en pas, elle peut aussi se mesurer en avant-bras. Ces unités de mesure empiriques restent en vigueur dans certains cas.
bacon, n. m. ; lard fumé, filet de porc fumé ; bacun (anc. frç.). Mot emprunté par l’anglais à l’anc. frç. ; bakko, jambon (anc. fr.) bache, jambon (m. h. a.) ; Backe, Gesäβhälfte, Schinken (alld.) = fesse ; Hìnnerbagge, Ärschbagge (fr. rh. Sgms) bacon (angl.). Ce mot aura fait un aller-retour entre le français et l’anglais, alors que c’est l’inverse qui semblait généralement admis.
besogne, n. f. ; forme fém. de besoin (exigence née de la nature ou de la vie sociale) ; bosoigne (anc. frç.), 1. besoin, ce qui est nécessaire ; besogneux (dér.), qui est dans le besoin. 2. ouvrage effectué ou à faire ; besogner (dér.) ; bissunia, soin, souci (anc. fr.radical sunnjôn, s’occuper de, et préfixe bi-, alld bei).
bière, n. f. ; caisse oblongue où l’on enferme un mort (mise en bière) ; bera, civière ; beran, porter (anc. fr.) ; bare, civière (m. h. a.) ; Bahr (fr. rh. Sgms ), bière ; Bahre (alld.), civière, bière. Pour le transport d’un blessé ou d’un mort, civière et bière nous viennent d’une même origine.
brandon, n. m. ; 1. torche de paille servant à mettre le feu. 2.débris enflammé ; brant, (anc. frç.) ; brandevin (dér.) ; brant, tison (anc. fr.), brant, brennendes Holzscheit, (m. h. a.) bûche enflammée ; Brònd (fr. rh. Sgms), Brõõnd (fr. mos. St‑A.), feu, embrasement, terme de distillation ; Brand (alld.), incendie, feu ; brandy, to brand (angl.), spiritueux, distiller. Le feu et son utilisation dans le processus de distillation semblent avoir traversé les siècles.
brique, n. f., pierre artificielle fabriquée avec de la terre argileuse ; sens de morceau, miette, jusqu’au XVIe siècle. Expression « manger des briques » (manger des miettes) = n’avoir rien à manger. Le briquet (dér.), dénomination du casse-croûte du mineur : morceau de pain. Brike, briche (anc. frç.) ; brëche (anc. fr.), casser (d’où le sens de morceau) ; brëchen (m. h. a.), brechen, zerbrechen (alld.), casser en morceaux ; to break (angl.), briser. L’origine de ce fameux briquet du mineur, traditionnel en Lorraine comme dans d’autres régions minières, nous est longtemps restée obscure.
buée, n.f., 1. part.passé substantivé de buer, faire la lessive. 2. vapeur qui se dépose en fines gouttelettes ; buanderie, buandière, embuer, désembuer (dér.) ; bukôn, faire la lessive (du nom germanique du hêtre bokon, la lessive se faisait originellement avec de la cendre de hêtre) ; buche, buchen (m. h. a.) Lauge, Laugebad, mit Lauge waschen, eau de lessive, faire la lessive ; Buchwésch (fr. rh. Sgms), Buchwesch (fr. mos. St‑A.), grande lessive, « couler » la lessive ; bauchen (alld.), « couler » la lessive, faire la lessive.
faldistoire, n. m., siège liturgique des évêques (voir ci-dessous fauteuil).
fauteuil, n. m., siège à dossier et à bras pour une personne ; faudesteuil, fauldetueil, faldestoel (anc. frç.) ; faldistôl (anc. fr.), siège pliant pour les grands personnages, de faldan, plier et stôl, siège ; valtstuol (m. h. a.), siège pliant ; Faltstuhl, Klappstuhl (alld.), siège pliant ; to fold (angl.), plier ; Foodèll (fr. rh. Sgms), fauteuil, Fotöij (fr. mos.Boul.), fauteuil