Panorama des médias audiovisuels de langue berbère

Ouahmi Ould-Braham

p. 7-8

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Ouahmi Ould-Braham, « Panorama des médias audiovisuels de langue berbère », Langues et cité, 23 | 2013, 7-8.

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Ouahmi Ould-Braham, « Panorama des médias audiovisuels de langue berbère », Langues et cité [En ligne], 23 | 2013, mis en ligne le 13 juin 2023, consulté le 08 octobre 2024. URL : https://www.languesetcite.fr/446

Les médias audiovisuels couvrent la radio et la télévision, auxquelles il conviendrait d’ajouter les nouveaux médias (téléphonie et internet). Si la radio et la télévision ont pris une large part à diffuser des programmes en berbère, quelle que soit la variété, depuis le siècle dernier, les médias des NTIC pour le même domaine linguistique remontent plutôt à l’aube de ce 21e siècle.

Sur plusieurs décennies le berbère (dans ses déclinaisons les plus actives), conséquemment au développement des industries culturelles dans le domaine, a eu une présence de plus en plus marquée dans l’audiovisuel. Si cette constance du berbère est perceptible à la radio dès les années 1930 (Poste Colonial à Paris, Radio PTT à Alger, Radio-Maroc), des chaines spécifiquement berbérophones n’ont commencé à voir le jour qu’à partir de la fin des années 1940.

Après une période aléatoire et des tâtonnements, la radio d’Alger, via le canal des ELAK (Émissions en langues arabe et kabyle), commençait à émettre de façon régulière, et avec un volume horaire plus significatif. À Paris, les ELAB (Émissions en langues arabe et berbère) faisaient de même. Radio Paris, rattachée désormais à l’ORTF, continuait à diffuser des programmes en kabyle et en dialectes berbères marocains (tachelhit et tamazight) après les indépendances des pays du Maghreb. Mais l’année 1970 sonne le glas pour le berbère, privé d’antenne du média de service public français, suite aux protestations du gouvernement algérien, notamment.

Dans chacun des deux pays les plus importants du Maghreb, en matière de l’usage du berbère, des chaines de radio émettant dans cette langue étaient contrôlées étroitement par les États. Au Maroc, jusqu’à aujourd’hui, une station de radio généraliste, Radio Amazigh, s’érige comme moyen d’information hors pair, avec pour vocation le développement, la production et la diffusion de la culture berbère. De même qu’en Algérie, au niveau du service public, l’équivalent est sans conteste la Chaine 2 de la RTA (puis ENRS), d’expression kabyle et ouverte aussi à d’autres variétés berbères du pays (chaoui, chenoui, mozabite et touareg).

Pour l’Hexagone, faute de mieux, le berbère va se retrouver dans les stations radio de la bande FM. Ces supports de média sont le résultat d’un combat pour s’imposer et faire entendre sa voix, face à un état de monopole, jusqu’à la libéralisation des stations pirates en France, au début des années 1980. Le temps des radios périphériques, associatives non-commerciales et autres « radios libres » n’a pas négligé le berbère (Radio Tamazight, Radio Afrique, Radio Beur, etc.).

Un peu plus tard, des chaines de télévision satellitaires virent le jour. D’abord en France, où elles furent conventionnées par le CSA juste avant d’émettre, BRTV (1999) et Beur TV - La chaine Méditerranée (2003). Ces deux chaines privées, basées à Paris, ont précédé de peu la création d’autres chaines au Maghreb, où ces nouvelles initiatives ne se sont pas fait attendre, suite aux rapports de force politiques sur le terrain.

En Algérie, où la tradition d’une revendication en faveur du berbère est relativement ancienne, la télédiffusion de programmes était déjà chose promise par les décideurs quelques années auparavant, la chaine Tamazight TV 4 a été mise enfin en service, en mars 2009, émettant en ondes hertziennes six heures par jour, et retransmise par satellite, principalement en kabyle mais aussi, à l’instar de la radio publique, dans d’autres variétés berbères.

Le Maroc, à son tour, a suivi puisqu’une chaine de langue berbère, Tamazight TV, vit le jour en janvier 2010, avec le même volume horaire que le pays voisin, suite à un accord signé entre le gouvernement et la Société nationale de radio et télédiffusion. Cette initiative relève de la volonté royale en matière de reconnaissance officielle et de promotion de la culture et de la langue berbères dans le pays. Tamazight TV émet dans les trois variantes locales, avec une programmation de référence généraliste et diversifiée.

Enfin, en Libye, une chaine de droit privée, Libya Ibraren TV, est née après 42 ans de dictature. Activement engagée dans la Révolution libyenne, elle émettait d’Égypte, puis de Benghazi, avant de s’imposer officiellement en Libye après la chute de Kadhafi.

Hormis peut-être Beur TV - La chaine Méditerranée, qui joue la carte de l’interculturel, toutes ces chaines de télédiffusion se veulent berbérophones et généralistes, en se donnant pour ambition de couvrir un éventail large de programmes, allant des fictions (séries, feuilletons, théâtre, sketches) jusqu’aux documentaires, en passant par des émissions sportives, enfantines, de la musique, de la politique, des sujets de société et de culture, sans oublier la langue berbère elle‑même.

Les années 2000 sont marquées par la montée en puissance d’internet dans les entreprises et chez les particuliers. Ce qui fait que le phénomène de la webradio en berbère est devenu courant, touchant aussi bien à des stations de radiodiffusion de la bande FM de l’hexagone (Beur FM, Kabyle FM…), ou du Maghreb, qu’à plusieurs autres initiatives de radios en ligne, et sans avoir besoin d’attribution de fréquence d’une autorité de régulation quelconque. Qu’ils soient généralistes et thématiques ou caractérisés par un genre musical spécifique, ces nouveaux médias vecteurs de programmes berbérophones deviennent relativement nombreux, du fait qu’ils requièrent beaucoup moins de moyens que les radios classiques1. De même, grâce à la technologie de la lecture en continu, les cinq chaines de télévision à programmes berbères déjà citées (deux publiques et trois privées), sont diffusées sur la Toile.

L’on ne peut qu’être frappé par la profondeur historique de cette présence du berbère dans l’audiovisuel, sur près d’un siècle, et de ce qu’actuellement l’ensemble des médias dédiés à cette langue s’adresse potentiellement à plusieurs millions de personnes. Cela a été rendu possible à la faveur tant des opportunités technologiques que des facteurs sociologiques et politiques. Cela dit, la qualité des offres n’est pas exempte de reproches, mais ceci est le propre de toute entreprise qui débute sans grande expérience. Pour dépasser ces erreurs de jeunesse et éviter des frustrations de la part de publics très demandeurs, les médias d’expression berbère se doivent de trouver leur voie.

Voyons brièvement, entre autres, la dynamique de la langue et les choix linguistiques à l’œuvre. Les médias n’ayant plus la fonction de conservation de la culture du terroir, comme à l’origine, sont confrontés à l’exigence de s’occuper et de rendre compte, dans la langue berbère, des questions contemporaines et de s’impliquer dans la création littéraire et artistique. S’investissant dans le champ de la communication, la langue va subir des transformations eu égard aux motivations des producteurs. Il fut un temps, de la part des récepteurs, où il y avait comme une aspiration à entendre une langue – la sienne – qui sortirait du moule traditionnel. Et la voie royale pour ces médias a été le recours massif à la néologie lexicale, avec des lemmes inventés de toutes pièces ou empruntés à d’autres dialectes berbères. Des matériaux néologiques ainsi produits, quelques décennies auparavant par le romancier Mouloud Mammeri (Amawal, 1980) et ses épigones, vont servir à émailler artificiellement les discours d’animateurs, à la radio ou récemment à la télévision, au risque de brouiller la bonne compréhension. Cette vision du sens commun consisterait à croire qu’une langue dominée serait au diapason des langues de grande diffusion sur la simple réforme formelle, grammaticale ou lexicale (Miller, 2011).

Mais en tout état de cause, la question soulevée est celle de la standardisation du berbère/amazigh dans ses aspects phonétiques, phonologique, morphologique, syntaxique, sémantique, stylistique et pragmatique. Pour commencer, du moins pour le Maroc, l’ancien alphabet berbère, le tifinagh, a été adopté officiellement ; il a trouvé sa place dans l’Unicode, ainsi que sur les claviers avec ses caractères, depuis qu’il a été standardisé à l’ISO en 2005. D’aucuns pensent que c’est la recherche académique, fortement soutenue par les États, qui pourrait apporter des réponses réalistes à des questions aussi délicates que celle de l’aménagement linguistique et qui se posent avec acuité.

1 Il existe des radios web d’expression berbère aussi bien au Maghreb, en Europe et même en Amérique du Nord.

Amawal tamaziγt-tafransist, tafransist-tamaziγt, Lexique berbère-français, français-berbère, Paris, Imedyazen, 1980, 131 p.

Miller C., « Langues et Média au Maroc dans la première décennie du XXIe siècle : montée irrésistible de la dârija ? », 2011, http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00599160 [Consulté le 15‑03‑2003]

Ould-Braham O., « Pour une histoire sociale de la chanson kabyle d’immigration en France », Études et Documents Berbères, n° 31, 2012, pp. 9‑27.

1 Il existe des radios web d’expression berbère aussi bien au Maghreb, en Europe et même en Amérique du Nord.

Ouahmi Ould-Braham

Université Paris 8 & MSH Paris Nord