Langue corse : une langue toujours dominée

Romain Colonna

p. 2

Traduction(s) :
Lingua corsa : una lingua sempre duminata

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Romain Colonna, « Langue corse : une langue toujours dominée », Langues et cité, 22 | 2012, 2.

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Romain Colonna, « Langue corse : une langue toujours dominée », Langues et cité [En ligne], 22 | 2012, mis en ligne le 14 juin 2023, consulté le 08 octobre 2024. URL : https://www.languesetcite.fr/463

Poser les jalons d’une histoire sociale et contemporaine de la langue corse permet d’analyser et d’expliquer l’évolution paradigmatique de la domination et de la minoration linguistiques en France1. La situation linguistique insulaire s’avère particulièrement riche d’enseignements. En effet, la langue corse a connu depuis les années 70 de nombreux changements. L’analyse de cette évolution a été soutenue par l’apport conceptuel de la sociolinguistique dite « périphérique », spécialement à travers la notion phare de la sociolinguistique : la diglossie, qui engage deux langues (ou variétés) sur un même territoire selon une répartition fonctionnelle et complémentaire des usages langagiers. Ce concept prolifique rencontre pourtant quelques limites aujourd’hui pour rendre compte de la complexité des évolutions linguistiques en Europe et en France, en Corse particulièrement. C’est pourquoi il a été nécessaire, après les études catalano-occitanes notamment, de lui substituer les notions dynamiques de fonctionnements diglossiques, d’idéologie diglossique ou de conflit diglossique.

Aujourd’hui, à la suite des dernières évolutions parfois spectaculaires en termes d’élaboration linguistique du corse et à la suite des politiques publiques à l’égard des langues dites « régionales » et du corse, nous serions tentés d’évoquer la situation davantage à travers un état de « post-diglossie ». La situation insulaire se caractérise tendanciellement par des avancées qualitatives dans le domaine public et un recul quantitatif dans le domaine privé. Néanmoins, cette caractérisation et le préfixe « post » traduisent un certain flottement conceptuel qui invite à opérer une mise à jour critique des concepts diglossiques appliqués à la situation corse. Il s’agit donc d’éclairer le terme « post-diglossie » et de donner un statut à la perspective de « dépassement de la diglossie ».

Pour cela, il convient dans un premier temps d’appréhender la langue à travers le triptyque représentations-institutionnalisations-pratiques afin de montrer la complexité des transformations actuelles qui se signalent par une redistribution tendancielle des polarités que l’on peut résumer très brièvement et schématiquement de la manière suivante : plus la langue investit l’espace public plus elle semble reculer dans l’espace privé. Conjointement, plus l’on constate une progression du pôle représentationnel qui la consacre en tant que langue à fort caractère identitaire, plus la pratique orale décline. Les éléments du cadre diglossique ont changé, mais il y a permanence du principe de répartition et de fonctionnalisation. De plus, l’observation laisse supposer que, dans certains cas, la surreprésentation identitaire en faveur du corse par rapport à la faiblesse des pratiques occulte en partie le conflit dans la mesure où l’on constate une forme de décharge compensatoire sur le pôle représentationnel. L’autre trait majeur de cette histoire sociale et contemporaine du corse concerne l’association récurrente à tous les échelons institutionnels entre « langue minorée » et « patrimoine » qui se caractérise par une nouvelle instabilité à travers des processus ambivalents mais solidaires d’un même système de domination. En explorant plusieurs voies, glottopolitique, politique, juridique et sociolinguistique, il est possible de poser un modèle explicatif pour éclairer et tenter de surmonter l’ambiguïté patrimoniale qui se manifeste en France. Ce modèle se traduit par un double mouvement patrimonial : le premier se caractérise principalement par une assimilation du local au profit d’un grand ensemble national. L’inscription des langues dites « régionales » dans la constitution française au titre de « patrimoine de la France » illustre parfaitement ce mouvement, sans pour autant que cette modification statutaire ait changé quelque chose à leur égard. Il semble que les langues dites « régionales » ne soient désormais acceptables que si l’État opère préalablement cette nationalisation, autrement dit, en les faisant passer du statut de langues privées à langues publiques et de langues de la société à langues appartenant à la République pour en avoir un droit de gestion. Le titulaire de cette incorporation constitutionnelle n’est pas le locuteur des langues dites « régionales » ou le corsophone mais bien la France. Le second mouvement s’inscrit dans une perspective à priori inverse. En effet, la patrimonialisation peut offrir une certaine visibilité au local et elle permet d’insister sur le particulier, dans ce qu’il peut avoir de plus singulier avec par conséquent des risques de fétichisation, folklorisation et mythification.

Ces deux approches, triptyque et patrimoniale, de la situation actuelle du corse tendent à démontrer non pas un « dépassement » général de la diglossie mais plutôt un « déplacement » du conflit linguistique. Il semble donc préférable au final de considérer l’histoire contemporaine du corse à travers les notions du paradoxe et de l’ambivalence linguistiques2. L’exemple corse permettant, dès lors, d’appréhender le paradoxe comme l’un des traits constitutifs de la minoration linguistique.

1 R. Colonna, 2011.

2 R. Colonna, 2012.

Colonna Romain, 2011, Transformations diglossiques. L’exemple corse, Thèse soutenue le 10 novembre 2011 à l’université de Corse, UMR CNRS 6240 LISA.

Colonna Romain, 2012, « Langue corse ou l’histoire ambivalente », in Lengas, 71, Montpellier, université Paul Valéry, Publications Montpellier 3, Presses universitaires de la Méditerranée.

1 R. Colonna, 2011.

2 R. Colonna, 2012.

Romain Colonna

IUFM de Corse - UMR 6240 (L.I.S.A.)