Homoparentalité est un néologisme créé par l’Association des parents et des futurs parents gays et lesbiens en 1996. Il désigne l’exercice de la parenté par un couple de même sexe, par une personne se définissant comme gay ou lesbienne, ou par un couple de lesbiennes ou un couple de gays en régime de co-parentalité. L’homoparentalité est une pratique sociale qui interroge, comme l’ont montré les récents débats déclenchés par la discussion et l’adoption de la loi Taubira – n° 2013‑404 du 17 mars 2013 – ouvrant le droit au mariage et à l’adoption aux personnes de même sexe.
Or, l’anthropologie des pratiques parentales montre que les groupes sociaux peuvent définir des liens de parenté en dehors du biologique (c’est le cas de l’adoption par exemple) et en dehors du couple hétérosexuel. En fait, c’est par et dans les pratiques sociales que les acteurs sociaux définissent, selon les époques historiques, ce qu’est pour eux une famille. Parmi ces pratiques sociales, le langage occupe évidemment une place centrale, parce qu’il permet de nommer et de désigner le lien parental.
Dans le cadre d’une recherche menée dans un groupe de parents et de futurs parents gays et lesbiens, à une époque où aucun cadre juridique ne reconnaissait les familles homoparentales, je me suis rendu compte que l’on pouvait concevoir l’homoparentalité au prisme du langage. Le désir de devenir parent, que l’on soit hétérosexuelle ou gay ou lesbienne, est en effet verbalisé auprès des cercles sociaux que l’on fréquente. Dans le cas des couples homosexuels, parce que l’homoparentalité est souvent stigmatisée, cette verbalisation se fait souvent auprès des plus proches, des ami-e-s, et des membres des associations homoparentales qui sont un soutien dans les différentes démarches. Cette verbalisation permet de mettre à l’épreuve les possibilités de réalisation du projet parental, et de rendre l’identité de « père » ou de « mère » homosexuel-le-s possibles. Dépassé ce premier stade, les futurs parents peuvent participer à des groupes de parole dans lesquels le projet de construire une famille va de pair avec des questions typiquement linguistiques : comment se nommer, lorsque les futurs parents sont deux hommes ou deux femmes ? Comment faire face à un vocabulaire de la parenté structuré autour de la différenciation des sexes (« mère/maman », « père/papa ») ? Ou alors, comment nommer le deuxième parent (ou parent social), étant donné que le parent biologique sera nommé et présenté en tant que le « père » ou la « mère » de l’enfant ? Et encore, comment nommer le géniteur qui est absent (donneur pour un couple de femmes, mère porteuse pour un couple d’hommes) afin que les enfants puissent avoir la possibilité d’en parler ? Plusieurs solutions sont possibles et mises en œuvre par les familles que j’ai pu rencontrer, par exemple :
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l’utilisation du couple linguistique « mère-maman / mère-maman » ou « père-papa / père-papa » pour nommer et désigner les deux parents (cas très peu utilisé à l’époque de mon terrain) ;
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l’utilisation et la redéfinition d’un terme comme « marraine », « parrain », ou encore « beau-père » pour désigner le père ou la mère sociale (vs biologique) ;
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l’utilisation du vocabulaire de la parenté tel qu’il est utilisé dans une autre langue que le français pour désigner le lien de parenté avec les parents sociaux dans le cas de couples issues de deux cultures / langues différentes (mère-maman / mamma en italien, par exemple) ;
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l’utilisation de néologismes tels que « popu », « mamu » ou autre pour désigner les parents sociaux ;
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l’assemblage du terme « père » / « mère » au prénom du parent social (« maman Jacqueline », par exemple) ;
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l’utilisation du prénom seul.
À partir de ce bref aperçu sur des pratiques de nomination et d’appellation homoparentales réelles, plusieurs conclusions peuvent être tirées. D’une part, les locutrices et les locuteurs font preuve d’une grande créativité linguistique en rendant compte par et dans la langue de situations parentales nouvelles. D’autre part, j’ai été frappé à plusieurs reprises par la façon dont les couples que j’ai rencontrés s’interdisaient presque toujours – en intériorisant la norme de la différence des sexes – d’utiliser les termes « père / papa » ou « mère / maman » pour désigner les parents sociaux. Ils invoquaient alors la nécessité de permettre à l’enfant de reconnaitre, par et dans les appellations parentales, une différenciation entre le « biologique » et le « culturel ». On peut sans doute en conclure que le binarisme et la différence des sexes affectent donc aussi les couples homoparentaux. Leurs pratiques langagières montrent alors que le travail de production et de mise en circulation des normes sociales et linguistiques est une activité partout présente. On peut dans cette perspective se demander dans quelle mesure l’adoption de la loi Taubira entrainera ou non des changements importants dans les pratiques langagières – et si oui, de quel ordre seront ces changements. Les recherches ethnographiques devront donc documenter à l’avenir l’émergence de formes linguistiques nouvelles, ou peut-être la redéfinition de termes de parenté déjà existants. Alors que la féminisation des noms de fonction est devenue une pratique langagière courante et ne semble plus créer à l’heure actuelle de polémique majeure, on peut penser que les nouvelles pratiques de la parentalité constituent, pour la linguistique et l’anthropologie notamment, un nouveau terrain de recherche, riche des questions linguistiques et sociales qu’il soulève.