Plus de quarante ans après le début du Riacquistu culturel des années 70, les politiques de la collectivité territoriale de Corse (CTC) en faveur de la langue corse sont de plus en plus ambitieuses et partagées. La demande sociale va crescendo sous l’effet d’une reconnaissance des bénéfices du bilinguisme : les écoles bilingues dont l’ouverture est contractualisée entre l’État et la CTC sont les plus attractives et celles qui obtiennent les meilleurs résultats scolaires. Parallèlement au renouveau du théâtre, de la littérature et de la chanson insulaires, la complicité du corse avec les autres langues latines en font un atout pouvant favoriser les échanges en Méditerranée.
Plus que jamais facteur de cohésion sociale dans une ile d’à peine 310 000 habitants, la question de la langue régionale demeure cependant un objet politique régalien. En témoigne la façon dont le Conseil constitutionnel édulcora les textes votés en mars 2000 au terme du processus Matignon. Ce point eut cependant l’avantage de permettre à l’assemblée de Corse de circonscrire l’exigüité de son champ de compétences : au final, l’offre d’enseignement du corse fut rendue obligatoire pour l’État et, comme en 1991 sous le statut Joxe, la CTC fut chargée d’élaborer un plan de développement de la langue corse.
C’est dans ce contexte que l’assemblée de Corse se saisit en 2004 du rapport « Langue corse, langue du citoyen » adressé par l’université de Corse. Proposant d’élargir la politique linguistique au champ sociétal, ce rapport esquisse un certain nombre de pistes fécondes. En juillet 2005, il y est notamment dit que : « le fondement de la politique de la CTC est d’affirmer l’importance de la langue corse en tant que lien social, patrimoine et ressource du développement de la Corse, en mobilisant l’ensemble des acteurs insulaires autour d’un consensus relatif aux enjeux du développement et de la diffusion de la langue dans tous les champs de la vie sociale ». Un comité scientifique fut alors chargé de présenter un document d’éclairage ; son rapport « Lingua corsa, un fiatu novu1 » présenta ses propositions allant de la mesure générale de l’officialisation à des mesures plus précises dans les différents secteurs de la vie publique, bien au-delà de l’éducation et des médias, jusqu’alors seuls espaces publics tolérant la langue corse (signature d’une charte de la langue corse par les municipalités, développement de la place de la langue dans les TIC, les crèches, les médias, partout avec des objectifs chiffrés). C’est en suivant la plupart des préconisations de ce comité que l’assemblée de Corse a adopté le Plan stratégique d’aménagement et de développement linguistiques pour la langue corse 2007-20132. Celui-ci poursuit trois objectifs principaux : sauvegarder la transmission de la langue corse aux jeunes générations, définir la place et les fonctions de la langue dans la société corse d’aujourd’hui, préciser les moyens et l’organisation nécessaires pour soutenir le développement de l’usage du corse.
Le changement de majorité résultant des élections territoriales de 2010 a ouvert le champ du possible en matière de revitalisation linguistique. Outre le vote d’une large majorité en faveur de la coofficialité, la feuille de route3 présentée par le conseiller exécutif Pierre Ghionga a permis de structurer l’action en doublant le budget de la CTC pour la langue corse (2 341 000 € pour 2012) et en triplant le nombre de personnes affectées à la Direction de la langue corse (douze postes4). À cela, s’ajoutent les aides octroyées par la direction de la culture de la CTC, notamment pour l’audiovisuel et la promotion du livre.
Ces aides et cette ingénierie linguistique se heurtent toutefois à certains écueils constitutionnels, institutionnels, voire sociétaux. Il manque notamment un statut juridique de coofficialité donnant des droits aux locuteurs de façon à ce qu’ils puissent utiliser le corse dans tous les domaines de la vie publique, et donnant à la fois des devoirs et des moyens aux institutions publiques et privées de l’ile de façon à offrir des opportunités d’usage à tous les corsophones. L’État dénie ainsi encore le droit au certificat de langue corse d’intégrer le CLES5, proscrit l’enseignement par immersion, interdit la publication d’annonces d’offre d’emploi en invoquant l’ethnicité de la corsophonie, supprime la formation continue des enseignants pourtant nécessaire à leur requalification…
Le volet institutionnel pose la question de la fragmentation du pouvoir décisionnel entre l’État et la CTC. Nul ne sait qui tient le gouvernail, notamment en matière éducative. La CTC fixe des objectifs qu’elle contractualise avec l’État, mais celui-ci reste libre d’agir comme il l’entend. Alors que le plan 2007-2013 n’est pas encore arrivé à terme, chacun sait que la plupart des objectifs ne seront pas atteints. Pire, la lenteur de l’évolution du système éducatif engendre des effets pervers comme l’élitisation des classes bilingues, pourtant contraire à la philosophie des promoteurs de cette innovation pédagogique.
Enfin, si la normalisation de l’usage de la langue est un fait politique, la population aurait tort de surinvestir le pouvoir des institutions et de leur déléguer l’ensemble de l’œuvre. Alors même que par nature la langue peut s’insérer dans tous types d’activités, le manque d’esprit d’initiative de la société civile et des corps intermédiaires continue d’ancrer la langue dans le conflit diglossique et limite ses opportunités d’usage aux domaines patrimoniaux, éducatifs ou artistiques. Il serait illusoire de croire que les institutions publiques peuvent à elles seules doter la langue de tous les outils et de tous les modes d’expression. En la matière, de grandes perspectives sont susceptibles de s’ouvrir aux jeunes bilingues innovants. Quant aux effets des dispositifs présentés ci-dessus sur la pratique de la langue, une grande enquête sera lancée en 2012. C’est en fonction de ces résultats que sera élaborée une prochaine planification Lingua 2020 qui permettra peut-être à l’Unesco de décompter le corse de la longue liste des langues en danger.