La langue corse prend, comme ses consœurs romanes, ses sources dans le latin, qui s’est implanté progressivement dans l’ile à partir de la conquête romaine, commune avec la Sardaigne, en 259 avant J.‑C. On ne connait pas précisément la situation linguistique de la Corse avant la latinisation. Sénèque évoque de la langue des Corses qu’il a entendue sur l’ile, mâtinée de grec, de ligure et de mots cantabres, tandis que Diodore de Sicile, dans un témoignage indirect, parle de son caractère étrange et difficile1. Quelques rares éléments lexicaux et toponymiques – qu’il convient de réévaluer à la baisse2 – pourraient témoigner de cet – ou de ces – état(s) de langue. Toutefois, le susbrat, bien que difficile à déterminer3, semble se manifester de la façon la plus tangible dans la réalisation de consonnes cacuminales, spécialement [ɖɖ], aboutissement de -LL- (ex. BELLUM > [b’ɛɖɖu] beddu ’beau’) dans les parlers du sud, unissant la Corse à ses sœurs thyrréniennes et à une partie de l’Italie péninsulaire, en particulier la Calabre latine. On pourrait également assigner à un effet de substrat le bétacisme réalisé dans les parlers du nord pour la fricative latine V- (ex. VINUM > [b’inu] ’vin’). Ces éléments, ajoutés à la conservation, dans l’extrême sud de l’ile, des voyelles latines après la perte de la quantité vocalique (ex. PĬLUM > [p’ilu] pilu ’poil’, CRŬCEM > [kr’utʃi] cruci ’croix’), à l’instar des situations sarde, calabraise et lucane4, confèrent aux dialectes insulaires, spécialement méridionaux, un caractère relativement « archaïque ».
Tournant progressivement le dos à la Sardaigne (sans doute autour du IIIe s.), la Corse se rapproche alors de la région centrale de l’Italie, notamment de Rome (Nesi 1992). À partir du IXe s. (période où les parlers romans s’individualisent) l’ile connait une première phase de toscanisation. Celle-ci se manifeste tout d’abord au plan phonique : l’aboutissement cacuminal [ɖɖ] de -LL- latin se transforme en [ɭɭ] (BELLUM > [b’ɛɭɭu] bellu), il recouvre actuellement le nord et le centre de la Corse. Dans cette zone également, s’implante un vocalisme dit « de type toscan à inversion des timbres »5. La morphologie nominale semble aussi être touchée avec des désinences en –e dans le nord vs désinence en –i dans le sud, pour les noms de la 3e classe (ex. pede ~ pedi, ’pied’) et les études récentes menées sur la morphologie verbale du Cap Corse6 laissent envisager que le système verbal du corse était originairement semblable à celui du toscan, malgré des restructurations postérieures. Des tours syntaxiques corses, de type omu dice ’on dit’, rappellent d’ailleurs l’ancien toscan.
Ancrant durablement les parlers corses dans l’aire toscane et centrale, la présence du toscan se renforcera, comme un paradoxe, pendant la présence génoise (XIIIe–XVIIIe s.), puisque la variété employée pour l’administration, la paraliturgie, l’écriture sous toutes ses formes était le toscan, langue de culture et véhiculaire des Corses pendant le Moyen Âge jusqu’au XIXe, et même postérieurement. Cette nouvelle toscanisation semble s’être déployée spécialement dans l’aire nord orientale (Casinca, Castagniccia), et qui en est le principal point d’impact. Peuvent être assignés à cette strate et dans cette aire, le nom chjesa pour l’’église’ (cf. it. chiesa) la forme –aiu du suffixe latin –ARIU(M) (vs –arghju, -aghju, -aru)7, le pluriel des noms féminins de la 3e classe en –i par ex. e voci ’les voix’, e noci ’les noix’ vs désinence en –e dans les autres localités du nord de l’ile (e voce, e noce). Le conditionnel toscan en –ebbe (ex. cantarebbe ’il chanterait’) semble avoir pénétré dans ce secteur et s’est étendu sur une aire plus vaste du nord de la Corse, bien que la forme en –ia (ex. cantaria) y soit documentée dans des textes où le corse affleure sous le toscan, et dans les relevés dialectaux des marges. Ce conditionnel en –ia, presque panroman, est, d’ailleurs, la forme normale du sud de l’ile.
Ce portrait rapide ne doit pas occulter la présence, en corse, d’autres adstrats. On pense notamment aux contacts avec les langues germaniques8, à l’arabe, ou aux parlers gallo-romans (ancien français et ancien occitan) auxquels peuvent être attribués certains noms corses comme guaglia ’caille’ ou sumere ’âne’, et aux dialectes gallo-italiques du nord de l’Italie, parmi lesquels le génois tient une place importante9. Toutefois, c’est bien dans l’aire centrale et partiellement méridionale de l’Italie que les parlers corses s’inscrivent.