Être un locuteur du parler de Naves (Allier)

Maximilien Guérin

p. 18-19

Citer cet article

Référence papier

Maximilien Guérin, « Être un locuteur du parler de Naves (Allier) », Langues et cité, 30 | -1, 18-19.

Référence électronique

Maximilien Guérin, « Être un locuteur du parler de Naves (Allier) », Langues et cité [En ligne], 30 | 2021, mis en ligne le 20 mars 2021, consulté le 08 octobre 2024. URL : https://www.languesetcite.fr/219

Merci à Henri Grobost, locuteur du parler de Naves. Propos recueillis par Maximilien Guérin. 

Comment avez-vous appris votre parler (le patois) ?

De façon naturelle, étant fils de paysans et ayant été baigné dans le monde rural, dans mon lieu de naissance et au-delà. En effet, j’ai travaillé jusqu’à l’âge de 24 ans au sein de l’entreprise de travaux agricole de mes parents, ce qui m’a permis d’être en contact avec tous les parlers environnants à plus de 40 km autour de mon lieu de vie. Par la suite, je suis resté dans le même secteur géographique et j’ai donc régulièrement maintenu le contact avec cet univers culturel.

Comment avez-vous appris le français ?

En famille, où les deux langues étaient parlées indifféremment. Mes parents et grands-parents parlaient entre eux en patois, mais en français à leurs petits-enfants. Par ailleurs, on ne parlait qu’en patois aux animaux. Puis à l’école primaire, j’ai étudié en français, ce qui m’a permis d’enrichir mon vocabulaire et de mieux comprendre la grammaire.

Que représentent ces deux langues pour vous ?

Une manière de penser différente dans chaque langue quand, comme moi, on est intégralement bilingue. D’ailleurs, on ne doit pas penser le patois comme étant un dérivé du français, mais l’inverse, le français étant issu de l’évolution des patois. J’écris directement en patois, avant de traduire en français. L’inverse a le désavantage de ne pas donner vie aux multiples sensibilités de ce parler. Quant au français, la majeure partie de ses racines provient des langues indo-européennes qui ont pour partie produit les langues du bassin méditerranéen, parmi lesquelles le latin. Or c’est justement du latin qu’est lui-même issu l’occitan avec ses multiples variétés, dont les divergences proviennent du fait que ces parlers n’avaient que pas ou peu de support écrit. C’est ce qui les a fait diverger. Des apports extérieurs souvent très divers s’y sont aussi imbriqués, y compris de façon très locale.

Y a-t-il des choses que lon peut dire en patois et pas en français ?

Oui, certains mots ou locutions ne peuvent pas être traduits avec leur sensibilité propre. C’est le cas de beaucoup de noms d’outils ou de techniques anciens dont l’usage a disparu, du fait de l’évolution de notre civilisation et du modernisme qu’elle nous a apporté. Au niveau des verbes, un grand nombre n’a pas vraiment d’équivalent en français : étre gât’ ou élaya qui signifie « être fatigué » (gât’ désigne une fatigue ponctuelle en cours de journée, alors que élaya désigne une fatigue plus grande et générale en fin de journée) ; soutrait qui signifie « secouer un sac pour le remplir » ou qui désigne également l’action du veau qui donne des coups de tête dans le pis de la vache pour faire venir le lait ; aviait qui désigne l’action de donner son lait à propos de la vache ou d’autres mammifères ; combugeait qui signifie « faire gonfler les douelles des tonneaux afin de les rendre étanches » ; etc. Cette question est tellement vaste qu’il me faudrait encore beaucoup de temps pour y répondre, sans jamais pouvoir arriver au bout.

Que pensez-vous de l’avenir de votre parler ?

C’est une langue actuellement morte, car il n’y a plus dans notre région, de locuteurs actifs dans la vie de tous les jours. Il reste une valeur de mémoire pour cette langue qui n’évoluera plus.

Que pensez-vous du fait que des gens l’étudient ?

C’est la meilleure façon de permettre l’analyse de l’évolution de ces parlers et d’en retrouver les racines. La meilleure et seule façon d’en conserver la mémoire orale reste l’enregistrement de textes, provenant des quelques locuteurs encore disponibles pour y participer. Pour être compréhensible, l’écriture doit être structurée afin de permettre à n’importe quel locuteur novice de la prononcer de la moins mauvaise manière. Mon écriture personnelle permet une interprétation phonétique correcte avec un vocabulaire et une grammaire calqués sur le modèle du français, et ce dans le seul but de pouvoir être compris quand je suis lu par des personnes totalement ignorantes de ce parler et de ses tonalités.

Pourquoi écrire en/sur le patois ?

C’est la seule solution pour préserver à la fois la langue, mais surtout les tournures de phrases et aussi la mémoire de la civilisation du monde rural avec ses difficultés de vie. De tels documents sur ce monde rural resteront le seul témoignage d’une époque révolue. Cette mémoire du passé est indispensable à l’éducation des jeunes générations qui, à l’époque de la civilisation des loisirs, oublient parfois qu’avant eux, leurs ancêtres ont eu beaucoup de difficultés pour seulement survivre.

Quelles sont vos activités concernant le patois ?

L’écriture pour conserver la trace de ce passé pas si lointain et aussi afin de pouvoir faire des comparaisons avec des locuteurs d’autres secteurs. Je participe, en tant que locuteur, au groupe patoisant du Pays de Lisolle à Lalizolle (03), et je recueille des informations sur différents parlers afin d’en retrouver les racines et de les comparer.

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

J’ai l’intention de continuer le travail entrepris avec la poursuite du tableau des conjugaisons en cours, lequel traite actuellement plus de 150 verbes à tous les temps. Je voudrais aussi élaborer une grammaire commencée par cette liste des verbes en faisant des comparaisons systématiques avec le français, et également consigner des locutions et tournures de phrases spécifiques du patois. Si la santé me le permet, j’aimerais encore constituer un dictionnaire de mon parler natal.

Maximilien Guérin

Chercheur postdoctoral au projet ANR Croissant, LLACAN (UMR 8135-CNRS/LLACAN/USPC)

Articles du même auteur