D’une éducation monolingue au bilinguisme avec les « langues de Guyane »
Bien que les trois quarts des enfants en Guyane ne parlent pas le français avant d’aller à l’école, longtemps, la seule langue d’enseignement a été le français. La ratification de la circulaire Savary pour l’Académie de Guyane en 1986 pour le créole guyanais, puis la mention de douze langues de Guyane comme « langues de France » par le rapport Cerquiglini en 1999 ont permis de développer des programmes d’enseignement partiellement bilingues. Actuellement, ces dispositifs ne s’appliquent qu’au créole, langue régionale, et aux élèves issus de milieux principalement créolophones ou amérindiens. Les élèves locuteurs d’autres langues minoritaires, considérées parfois à tort comme des « langues de l’immigration », ne voient leurs langues valorisées dans aucun dispositif, alors que le plurilinguisme de tous pourrait être une formidable ressource pour l’enseignement et le vivre ensemble. L’Éducation nationale a appliqué successivement en Guyane ces dernières années un traitement monolingue puis bilingue (Puren 2007)1. Depuis 2010, deux dispositifs bilingues coexistent en Guyane : le dispositif des ILM (voir p. 12) et un dispositif à parité horaire français-créole guyanais (Alby et Léglise 2016)2. En 2013, l’article 46 de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République précise que « dans les académies d’outre-mer, des approches pédagogiques spécifiques sont prévues dans l’enseignement de l’expression orale ou écrite et de la lecture au profit des élèves issus de milieux principalement créolophone ou amérindien » sans plus de précisions, mais l’on peut supposer qu’ils renvoient à celui des ILM. Plus récemment, le 14 juin 20163 à l’Assemblée nationale, la ministre de l’éducation a annoncé que l’académie de la Guyane souhaitait « conforter la place des langues et des cultures de son territoire, avec l’ambition forte de se doter dans les dix prochaines années de plusieurs écoles primaires bilingues à parité horaire, notamment le long du Maroni et de l’Oyapock », rappelant aussi la volonté de l’État de sortir du « bilinguisme de substitution4 actuel » pour aller vers un « bilinguisme additif, généralisé sur la continuité des cycles 1 à 3 et sur plusieurs écoles du territoire ». L’implémentation concrète de ces dispositifs est plus qu’attendue.
Pour les autres langues minoritaires : un plurilinguisme effacé, au profit du français
Les politiques linguistiques éducatives ont eu jusqu’à présent malheureusement pour conséquence l’« oubli » d’une partie non négligeable des élèves en âge d’être scolarisés, locuteurs de langues dites « de l’immigration ». Ces choix induisent des hiérarchies entre les langues des élèves et donc de l’inégalité entre ces derniers – laissant pour compte à certains endroits un tiers, à d’autres endroits une majorité d’élèves allophones face au français (Alby et Léglise 2014)5. En effet, contrairement aux « langues de Guyane », aucun dispositif ne prend en compte les autres langues minoritaires du département : portugais, créole haïtien, anglais, sranan tongo… Des programmes compensatoires, visant à acquérir le français comme langue de scolarisation, sont proposés sans qu’à aucun moment les compétences plurilingues de ces élèves ne soient considérées comme un atout.
Vers une éducation plurilingue ?
Afin de tenir compte des spécificités du public scolaire, il nous semble essentiel que l’école en Guyane prenne en compte non seulement les langues maternelles des élèves mais également les autres langues de leur répertoire linguistique. Inspirée de l’expérience (internationale et française, en particulier sur le territoire hexagonal) des pratiques de classes en situation plurilingue, une véritable didactique du plurilinguisme pourrait être mise en place. En Guyane, élèves et enseignants s’engagent quotidiennement dans des pratiques langagières plurilingues, mêlant les langues, et allant ainsi parfois à l’encontre de préconisations de leur hiérarchie (Alby et Léglise 2017)6. Or, ces pratiques ont le plus souvent une visée pragmatique (traduire, reformuler) permettant de résoudre une tâche donnée en groupe. De même, l’utilisation d’approches du type « éveil aux langues » et la comparaison des fonctionnements grammaticaux des différentes langues dans la classe permettent à la fois de développer une ambiance sereine de travail, une curiosité vis-à-vis de ses propres langues et de celles des autres, et des capacités métapragmatiques7 qui aident tous les élèves à mieux apprendre. De nombreuses formations sont proposées depuis une dizaine d’années dans ce domaine, à l’École supérieure du professorat et de l’éducation (ÉSPÉ) de la Guyane notamment, et des enseignements ont des pratiques pédagogiques extrêmement innovantes dans leurs classes. On peut espérer que ces approches soient encouragées largement, à l’échelle de l’Académie, pour engager une véritable politique linguistique éducative plurilingue.