Ce poème de combat, composé en 1945 par Idir Aït-Amrane (1924-2004), appartient à la veine « berbéro-nationaliste » kabyle des chants de marche du mouvement de jeunesse nationaliste des années 1940-1950. À cette période, de très jeunes militants algériens indépendantistes chantaient la patrie future en langue berbère et en revendiquaient les racines berbères.
Pensé et composé dans le cadre de la lutte anticoloniale, ce poème est devenu au fil du temps, de par son contenu et ses références, un véritable « hymne national berbère ». Le texte, très ambivalent, permettait en effet aussi bien une lecture nationaliste algérienne qu’une lecture berbériste, transnationale (« du Sahara occidental à Siwa »). Tous les repères historiques y font référence à des héros berbères de l’Antiquité, Massinissa et Jugurtha – donc à la période anté-islamique et non-arabe –, et la revendication de la langue berbère y est posée comme fondement de l’avenir de la patrie.
Ce courant, fortement implanté dans la Kabylie des années 1940-1954 et en émigration (qui était alors très majoritairement kabyle), sera bien entendu balayé par l’arabo-islamisme dominant du mouvement nationaliste algérien (MTLD puis FLN) et laminé pendant la guerre d’indépendance. Ces textes (plusieurs dizaines) seront des graines qui germeront après l’indépendance (1962) et seront largement repris et popularisés par la militance berbère. Plusieurs ont été interprétés par de grands chanteurs kabyles (Ferhat, Matoub…).
Kker a mmi-s umaziɣ
Kker a mmi-s umaziɣ
Iṭij-nneɣ yuli-dd
Aṭas ayagi ur t-ẓriɣ
A gma nnuba-nneɣ tezzi-d
Azzel in-as i Massinissa
Tamurt-is tuk°i-dd ass-a
Arraw-is mlalen dduklen
Deg ẓekwan lejdud ferḥen
In-as in-as i Yugurta
Arraw-is ur t-ttun ara
Ttar-ines da t-idd-rren
Ism-is a t-idd-skeflen
Seg durar i dd-tekka teɣri
S amennuɣ nbda tikli
Tura ulac ulac akukru
A nerreẓ wala a neknu
Sumeslay-nneɣ a nili
Azekka ad yif iḍelli
Tamaziɣt ad tgem ad ternu
D asalas n wemteddu
Lzayer tamurt ɛzizen
Fell-am a nefk idammen
Igenni-m yeffeɣ-it usigna
Tafat-im d lḥurriya
Igider n tiggureg yufgen
Ssiwḍ sslam i watmaten
Si Targa zegg°aɣen ar Siwa
D asif idammen a tarwa!
(M. Idir Aït-Amrane, janvier 1945-1954)
Debout, debout fils de Mazigh (Berbère)
Notre soleil s’est enfin levé
Il y a longtemps que je ne l’avais vu
Frère, notre tour est maintenant arrivé.
Cours dire à Massinissa
Son pays s’éveille aujourd’hui
Tous ses enfants sont rassemblés
Dans les tombes les ancêtres se réjouissent.
Va vite dire à Jugurtha
Ses enfants ne l’ont pas oublié
Et certes ils le vengeront
Son nom reviendra à la lumière.
Des montagnes nous vient l’appel
Au combat nous nous dirigeons
Maintenant, plus de crainte plus de recul
Nous nous briserons plutôt que de plier1.
Par notre langue nous existerons
Demain sera mieux qu’aujourd’hui
La langue berbère prospérera et se développera
Ce sera le pilier de tout progrès.
Algérie pays bien aimé
Pour toi nous donnerons notre sang
Ton ciel sera dégagé de tout nuage
Ta lumière sera la liberté.
Aigle de la liberté prends ton envol
Salue tous nos frères
Du Sahara occidental à Siwa2
Le même sang coule en nous.
On notera qu’il existe plusieurs versions de ce chant, présentant des divergences parfois importantes : comme cela apparait très clairement dans sa version de 1954 et dans son mémoire de 1992, l’auteur a eu tendance à réécrire ses textes en fonction du contexte politique et des évolutions de la codification, graphique et lexicale, de la langue ; les versions orales collectées auprès des témoins et acteurs de l’époque sont, elles aussi, tout naturellement, assez variables. Nous reprenons ici le texte de la seconde version de l’auteur, celle de 1954. En la matière, la source la plus sûre est sans conteste M. Benbrahim (1982) qui a réalisé un travail d’enquête approfondi et a pu interroger la plupart des survivants de cette période.
En écriture berbère (strophes 1 & 2), dans les différents alphabets :
N.B. : l’usage traditionnel (libyque et tifinagh des Touaregs) ne notait pas les voyelles, sauf en position finale, ni les consonnes doubles et ne séparait généralement pas les mots : la lecture en était particulièrement hésitante et incertaine (ici on a introduit des blancs séparateurs). Les usages récents (« néo-tifinagh ») ont systématisé la notation des voyelles, des consonnes doubles et, bien sûr, de la séparation des mots par des blancs. Il est bon de souligner que dans l’usage traditionnel, les alphabets et les pratiques (sens de l’écriture notamment) présentaient de sensibles variations : l’écriture pas plus que la langue n’étaient codifiées et il existait autant d’alphabets que de grandes aires dialectales…