Les efforts d’analyse à caractère scientifique des parlers locaux sont exceptionnels sous l’Ancien Régime. En Normandie, en 1704, on peut noter toutefois l’initiative isolée de Claude Buffier, qui réfute le fait que le normand soit « un mauvais langage », et précise « pourquoi n’y auroit-il pas de régles pour le Normand, comme pour le François ? »
Le Coup d’œil purin, manuscrit, 1773
© Patrice Lajoye
La plupart du temps, les parlers locaux sont nommés, mais de façon spontanée, non réfléchie. Les expressions employées sont alors très diverses. « Langue normande » n’est attestée que deux fois : en 1649 dans le titre d’une mazarinade soi-disant écrite en normand quand il s’agit en fait de français déguisé, et en 1685 dans une comédie d’Edme Boursault, qui se moque de la prétention d’un Normand de vouloir ouvrir une école de « langue normande ». L’expression « langage normand » est autrement plus courante. Il arrive toutefois qu’elle désigne le norrois, la langue des Vikings. Cependant, dès 1588, Charles de Bourgueville l’emploie pour désigner la langue du peuple de Caen. On peut noter aussi « gros normand », majoritairement employé au XVIIe siècle par le poète rouennais David Ferrand. On utilise aussi à Rouen « langue purinique », qui désigne alors spécifiquement le langage des ouvriers drapiers, ou plus largement celui des habitants de Rouen.
D’autres expressions ont un caractère plus flou. Au XVe siècle, le poète Guillaume Tasserie fait parler au « quemun peuple », le « vray vulgaire normand ». Plus tard, David Ferrand parlera aussi de « langage quemun » ou de « langue vulgaire », autrement dit de langue du peuple. Deux auteurs anonymes du XVIIIe siècle, de Lisieux et de Rouen, diront aussi « not langage », ou « not jars », par opposition au français standard.
Le mot « patois » est abondamment employé depuis le XVIIe siècle par les auteurs normands. David Ferrand écrit même qu’il s’exprime dans « sen patois ». Jamais alors le mot n’a de connotation négative. Il sert en fait à désigner le langage local du peuple. C’est à partir du XVIIIe siècle, et notamment avec les Encyclopédistes, donc à Paris, que « patois » va prendre le sens péjoratif de « langage corrompu ». Mais faut-il vraiment tenir compte de l’avis de horsains ?