Échantillon des parlers normands à travers le temps et les lieux

Patrice Lajoye

p. 8-9

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Patrice Lajoye, « Échantillon des parlers normands à travers le temps et les lieux », Langues et cité, 33 | 2025, 8-9.

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Patrice Lajoye, « Échantillon des parlers normands à travers le temps et les lieux », Langues et cité [En ligne], 33 | 2025, mis en ligne le 30 avril 2025, consulté le 12 juin 2025. URL : https://www.languesetcite.fr/654

Depuis le XVe siècle, l’usage du patois est régulièrement revendiqué dans les textes de Normandie. Cela se fait parfois ouvertement, parfois de façon plus subtile.

« Bé, n’est ce nostre propre usage / et le vray vulgaire normant ? / Quique m’en vueille estre blasmant ? / Ainsi mé l’a ma mere apprins / et n’en doy peint estre reprins. »
Guillaume Tasserie, Le Triomphe des Normands, vers 1490, Rouen.

« Bertran : Et bien men bon, quesque tu fais illoque / emprês ten feu à cauffer tes garets ?
Marin : En bonne fey, j’écoute nôtte cloque / la grosse Artuse, et sairês volentiês / chen qu’il ya. »
Chant réal, fait à Saint Nigaise par deux bons garchons drappiez, 1587, Rouen.

Chant rial, 1622, Rouen, Adrien Morront

Chant rial, 1622, Rouen, Adrien Morront

© Patrice Lajoye

« O cha, n’importe, Cattelotte, quitton la qualitay de Monsieu et de Madame la Quiole, n’o se passe mieux de cha que de pain, et no réjoüissons que note richesse n’a point durai pu long-tems ; car j’eussions ressemblay pût être à la Grenoüille d’Isope, qui s’enflit tant pour devenir aussi grosse que son compere le Bœuf qu’à crevit sur le pray pu réde qu’un bâton. »
La Farce des Quiolards, vers 1690, Rouen.

« Pour ce qu’est des mots, je devinîmes tout d’un coup qu’hormis mr le Curé, son vicaire, et nous qui sommes le magister de pus de trois Paroisses, le reste n’y entendrait guères pus que rian, parce quin savent pas comme t’est-ce quon parloye à l’accadémie, et que surement le sien qui l’a fait en ferait ben encore un autre tout pareillement semblable. Or c’est pour que tout le monde, ignorans et autres, ayent leux part de ça, que jen avons brassé une espèce promtement en not langage, en façon de supplément au vôtre ; je vous l’enveyons pour l’y joindre. Si queuqu’un le blâme, je dirons que j’avons fait ce que j’avons pu, mais que je ne sommes pas obligeais d’en savet autant que des chaloines qui avons le temps entre le déjeuné, le diné, le gouter et le souper, d’apprendre leux matines par cœur. »
Addition au mandement du vénérable Chapitre de Lisieux, 1760, Lisieux.

« Regardez-la donc cette sainte N’ytouche atou sa douce voix !
Je t’ai déjà dit que je ne veux pas que tu parles comme cha ; je ne sîmes pas des messieurs, entends-tu ? (Victoire rougit.) Ah ! cha, tu vas m’achever men ménage ; — je reviendrai tatôt te trachier, car j’allons avae affaire de té, entends-tu, petite fainiante ! »
Jean Fleury, Victoire, drame en trois actes, 1834, La Hague.

La Sortie du baptême, 1898

La Sortie du baptême, 1898

© Patrice Lajoye

« Écoutez, l’z’amis, dit Lolo-les-Cordes, qui était sorti ingonito, et qui rentrait, un gros livre à la main. Écoutez, j'tenons Cuistre. Voici l'Dictionnaire de la langue française, acheté tout flambant neuf, chez Alléluia, en 1877. Ce citoyen d'livre-là sait tout. — Attention : A, pas ça — B, pas ça — C, ça commence — Cocasse, ça qu'approche — Cuistre, le v'là, ma fé, en corps et en âme. Écoutez, écoutez, nom de diousse, c'est mé qui lit : Cuistre, ça veut dire : Malotru, polisson, goujat ; homme mal élevé, grossier, pédant, queue litanie ! Eh bien, la compagnie, en savez-vous à cette heure ? V’là l'pot aux roses découvert. Ah ! s'il l'est du coup, fit Lolo-les-Cordes, c'est un joli pot qu'vot'pot ! Vrai, comme j'mappelle Lolo, M. Cuistre, c'est un vilain garnement qui n'rend pas l'bonjour à ceux qui le saluent. Oh ! je l'erconnaissons bien ! »
L’Avranchin, 28 octobre 1883, Saint-Sauveur-le-Vicomte.

« La fermière, à Mathurin, qui entre en secouant sa casquette : Bin, en va sonner la crémâillieîre et vous feîre manger à la grand’cueiller ; j’n’avez pas été longtemps en riote !... (Palpant sa blouse) J’étes à plein confondu.
Mathurin : N’m’en caôsez pas, i chait de l’iau à siaux !... Leîssez feîre, les gueîpes n’viennent point vionner à vos oreilles, et gna pas besoin d’mette des barbottiaux à la teîte des j’ments. Bonjou, la compagnie !
La fermière : Accouflous prée du feu qui mouronne sous la cende. J’vas aller qu’ri des parottes et des coîpiaux pour vous feîre eune bonne fouée qui va vous remouver. »
Charles Vérel, Une veillée normande, 1910, Courtomer.

Chant rial, 1622, Rouen, Adrien Morront

Chant rial, 1622, Rouen, Adrien Morront

© Patrice Lajoye

La Sortie du baptême, 1898

La Sortie du baptême, 1898

© Patrice Lajoye

Patrice Lajoye

Patrice Lajoye, Ingénieur d’étude à la Maison de la Recherche en Sciences humaines de Caen, CNRS, Université de Caen Normandie

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