La carte 1266 de l’Atlas linguistique et ethnographique normand de Patrice Brasseur est très claire : les locuteurs natifs des parlers normands « patoisent ». « Patoiser » est en tout cas le verbe qui, sous diverses formes, est employé sur l’ensemble du territoire de la Normandie, à l’exception des îles anglo-normandes, où l’on dvise ou pale le dgèrnésiais ou le jèrriais. Pour les locuteurs natifs, patoiser est naturel.
Lettre du préfet du Calvados, 1812
© Patrice Lajoye
Pourtant, dans les milieux régionalistes et militants, on parle depuis quelques décennies du « loceis normand ». Le terme loceis semble apparaître pour la première fois dans les années 1960, notamment sous la plume d’André Dupont, par exemple dans L’Histouère de lus pais racontae à mes quenâles dans le loceis à nous pères (nouvelle publiée dans le Bouais-Jan en 1968 sous le pseudonyme de A.-J. Desnouettes). Mais il a tout l’air d’être un néologisme car il est totalement absent de l’Atlas, mais aussi des dictionnaires anciens, quel que soit le pays de Normandie auquel on s’intéresse. Seul Jean Fleury en 1883 atteste pour la première fois dans la Hague du mot lŏcĕs, qui signifie « discours, conversation ». Il a aussi été noté plus tard par Éric Marie dans le Val-de-Saire. Et dans les années 1970, Patrice Brasseur a rencontré ce même mot, toujours dans la Hague, avec le sens de… « charabia » (ALN, carte n° 1267, en marge). Il semble pour le coup délicat d’appliquer à l’ensemble de la région un mot qui n’est connu que dans deux de ses pays les plus petits, et qui plus est avec un autre sens.
Tant qu’à vouloir parler de « langue normande », autant éviter de raconter des lousses : le mot « langue » est employé tel quel, avec quelques variations phonétiques, en Normandie, à l’exception du Pays de Bray où le picard lingue est attesté (ALN, carte n° 1120, en marge).
La Friquassee crotestyllonnee, Rouen, Cousturier, 1604
© Patrice Lajoye.
On notera que cette forme picarde a sans doute eu une extension plus vaste par le passé : la Friquassée crotestyllonnée, au XVIe siècle, la mentionne à Rouen, de même qu’un siècle plus tard le poète Louis Petit emploie le verbe linguer pour « parler, jaser ».