Le pene nengone, ou simplement nengone, est la langue de l’ile de Maré aux iles Loyauté en Nouvelle-Calédonie. Elle est la deuxième langue kanak la plus parlée, après le drehu, avec 8 721 locuteurs déclarés de 14 ans et plus, dont 3 544 à Maré et 4 659 dans le Grand Nouméa (ISEE, RGP 2009). Enseignée depuis la maternelle jusqu’au lycée comme matière facultative, elle fait partie, avec le drehu, le ajië et le paicî, des quatre langues kanak inscrites aux épreuves de langues vivantes optionnelles au baccalauréat depuis 1992. Elle est également enseignée à l’Université de la Nouvelle-Calédonie (UNC) en licence de Langues, littératures et civilisations régionales depuis 1999, et une initiation à cette langue est proposée en licence de Lettres modernes.
Si l’on fait exception des lexiques et des recueils de textes, il n’existait à ce jour aucun manuel publié d’enseignement du nengone. Nous avons donc entrepris de réaliser un didacticiel d’auto-apprentissage en ligne destiné à la fois aux grands débutants et à ceux qui cherchent à se perfectionner. Pour les personnes déjà locutrices, ce support permet de compléter leurs compétences langagières en leur offrant une description grammaticale explicite de la langue. Pour les enseignants (instituteurs, professeurs des écoles ou professeurs dans le secondaire), la description grammaticale du nengone se prolonge par une analyse des spécificités des langues océaniennes comparativement à celles du français et d’autres langues du monde. Cet éveil à la diversité des langues océaniennes et de leurs structures phonologiques et morphosyntaxiques peut les aider à enseigner le français en contexte plurilingue à des élèves de langues maternelles kanak et océanienne.
La conception des leçons a associé deux locuteurs natifs du nengone, Jean Hmae et Suzie Bearune, par ailleurs enseignants de cette langue à l’université, et un linguiste qui a déjà réalisé des méthodes d’auto-apprentissage en langues océaniennes, Jacques Vernaudon.
Les principes généraux qui sous-tendent la conception du didacticiel sont les suivants :
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Il s’agit d’un outil d’auto-apprentissage qui peut être utilisé par un apprenant solitaire et motivé, ou comme appui complémentaire à un cours collectif avec un enseignant locuteur.
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Il vise le développement de compétences langagières en compréhension orale (la production orale n’est pas véritablement évaluable sans interaction humaine) et en compréhension et en production écrites, avec comme objectif terminal le niveau A2 du Cadre européen commun de référence pour les langues, ce qui correspond à celui d’un utilisateur élémentaire.
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La langue cible est le nengone, la langue source, le français. La méthode emploie le français pour faciliter l’accès à la compréhension du nengone (glose, traduction), mais elle ménage également des moments de découverte où l’apprenant doit se fier à son intuition.
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La conception de l’outil repose sur une approche inductive de la grammaire : elle favorise l’écoute et l’observation de nombreux exemples. À partir de questions qui guident sa réflexion, l’apprenant est encouragé à induire lui-même des règles de prononciation ou de grammaire. Les explicitations sont fournies a posteriori.
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La méthode respecte les usages et reflète la variation dialectale et les différents registres du nengone. D’un point de vue typologique, le nengone présente d’ailleurs l’intérêt de déployer au moins quatre registres différents très formalisés, selon le rang et l’âge des personnes auxquelles le locuteur s’adresse.
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Des exercices d’applications permettent de travailler les quatre habilités (comprendre, parler, lire, écrire) de manière complémentaire.
La réalisation du didacticiel nous a conduit à proposer, en accord avec l’Académie des langues kanak, quelques régulations du code alphabétique du nengone. Nous avons en particulier décidé de noter systématiquement l’opposition entre consonnes occlusives aspirées et non aspirées (ex. wata [wata] ‘pied’ / wat'a [watha] ‘manquer son but’) et l’allongement des voyelles (ex. ened [ened] ‘asticot’ / ēned [e:ned] ‘bouger’).
Nous avions déjà réalisé des outils d’auto-apprentissage en tahitien (Paia, Vernaudon, 1998) et en drehu (Lercari, Sam, Vernaudon, Gowe, 2001) sur support papier et CD. Il s’agissait cette fois d’explorer les potentialités de l’outil informatique et d’en tirer profit pour favoriser l’interaction texte/son et l’itération pour la mise en place d’automatismes. L’implémentation informatique et l’habillage graphique ont été réalisés par Fabien Mauberret.
Outre la présentation générale, le didacticiel comprend 24 leçons qui se déploient autour de la trame narrative suivante : Nina, une jeune fille dont les parents sont originaires de Maré, mais qui a grandi à Nouméa, doit réaliser un dossier d’enquête linguistique sur le nengone pour son travail d’étudiante à l’université. Elle projette de se rendre à Maré pour son enquête. N’ayant pas eu l’occasion d’apprendre le nengone dans son milieu familial, elle débute son initiation avec une cousine installée à Nouméa, Maria, une jeune institutrice, puis elle poursuit son apprentissage en se rendant dans l’ile, chez son oncle maternel, et en faisant la connaissance de divers personnages dans des situations variées de la vie quotidienne.
Chaque leçon est construite sur un plan équivalent. Les compétences visées sont annoncées en introduction. Puis un dialogue sert de support à la découverte de structures d’énoncés et d’un vocabulaire nouveau. Il est suivi d’explications sur la prononciation et sur la grammaire, prolongées par des commentaires culturels. Des exercices d’application clôturent la leçon.
Pour la réalisation de ce support, l’Université de la Nouvelle-Calédonie a reçu le soutien financier et logistique de l’Académie des langues kanak, de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, de l’Institut de Formation des maitres de la Nouvelle-Calédonie et du Centre de documentation pédagogique de la Nouvelle-Calédonie.
Le didacticiel est désormais accessible en ligne gratuitement à l’adresse suivante : http://nengone.univ-nc.nc
Nous espérons que cette réalisation participera à la valorisation du patrimoine linguistique remarquable de la Nouvelle-Calédonie qui compte 28 langues kanak.